La France disposait fin 2018 d’un potentiel de production d’électricité théorique de 133GW dont 23 GW de capacités intermittentes et non pilotables, pour une puissance annuelle de production de l’ordre de 70 GW en moyenne été-hiver, et une pointe extrême de 102 GW (hiver 2012).
Dès lors qu’une partie des capacités pilotables - de l’ordre de 15 à 20% - peut à tout instant se trouver non disponible (maintenances de longue durée par exemple), et dès lors que les capacités installées intermittentes peuvent se trouver totalement inopérantes en soirée ou en début de journée un jour sans vent, il existe un réel risque de black-out à tout moment, l’hiver en particulier.
Quelles solutions peut-il y être apporté ?
1. Une histoire vécue, hiver 2012 :
Le 7 février 2012, température moyenne -4,7°C, la France vers 19h00 atteint un pic historique de consommation (source : https://www.rte-france.com/fr/eco2mix/eco2mix-consommation) :
Pour y faire face, dans un contexte de faible production éolienne (2/3 du capacitaire) et de production solaire nulle, l’ensemble des moyens pilotables sont sollicités, avec un complément exceptionnel d’importations.
Le lendemain 8 février 2012, température moyenne -4,9°C, à la même heure un nouveau pic est atteint: l’éolien étant encore moins en capacité de fournir que la veille - alors même qu’il produisait à plein en début de journée – l’hydraulique et l’import permettent l’ajustement, de justesse.
Alors, dira-t-on, si dans ces circonstances exceptionnelles l’on a pu importer de l’électricité, cela ne prouve-t-il pas qu’il existe un « foisonnement » qui permet d’ajuster ? On y reviendra un peu plus loin.
2. Diminuer les pointes ?
La sobriété et l’efficacité énergétique peuvent grandement aider à diminuer les pointes, notamment en hiver, mais c’est une solution de longue haleine, et le développement des« nouveaux usages de l’électricité » que l’on constate tous les jours risque de compromettre l’économie attendue.
3. Jouer sur le foisonnement ?
Sans doute, et autant que faire se peut, sauf que …
· il est acquis par l’expérience que le foisonnement reste limité pour la France malgré trois régimes de vents, l’examen des 6 mois d’été montrant également des pénuries de production éolienne en situations anticycloniques, avec des températures élevées, le solaire pouvant cependant apporter une compensation partielle.
· le projet de développement d’une solidarité européenne fondée sur un foisonnement des productions intermittentes des zones climatiques (vent Mers du Nord et Baltique vs soleil du bassin méditerranéen), au prix d’interconnexions massives et coûteuses des réseaux THT, se heurte au constat que les périodes d’appel maximal de puissance, hiver comme été, sont généralement anticycloniques et que l’éolien devient inefficace dans ces situations (4 fois sur 5 environ) sur de longues durées (une à deux semaines).
Une exception peut cependant se profiler s’agissant de l’offshore, qui dans certaines zones bénéficie de vents plus réguliers tant en direction qu’en puissance.
Peut-on donc compter sur le foisonnement ? La réponse est négative : certes en février 2012 les circonstances ont rendu cela possible, mais un an plus tard en février 2013, l’on peut mesurer sur le graphique ci-dessous que le régime des vents était distribué de manière homogène sur l’ensemble du continent, du nord au sud.
C’est la situation la plus fréquente, de sorte que, si de telles circonstances se reproduisaient ce qui a failli se produire en janvier 2017, il serait avec le recul 6-7 ans plus tard difficile de compter sur une production éolienne erratique dont la capacité a cependant été entretemps doublée.
Que se passerait-il si faute de capacité d’importation l’on ne pouvait pas satisfaire à la demande toujours élevée en période de grand froid ? A l’évidence il faudrait procéder à des coupures, et répartir celles-ci.
Mais serait-ce une bonne idée, en période de grand froid, que de procéder à des coupures, au détriment des catégories de population les plus vulnérables : personnes âgées, femmes enceintes, enfants en bas âge … ?
Corrélation entre la puissance moyenne journalière produite par l’éolien et la puissance journalière appelée en France (données RTE 2015).
La courbe de tendance est obtenue par l’ajustement de polynômes de degré 2 (source CREDEN)
Plus l’on crée du capacitaire non pilotable tout en diminuant le capacitaire pilotable, plus il existe un risque réel de déséquilibre entre la production réelle et la production appelée (consommation instantanée), donc un risque de black-out, au pire moment dès lors que l’on considère que le chauffage est prioritaire.
Dans ce contexte, et sauf à répartir les pénuries, une puissance de secours ou capacitaire de substitution est requise, sans espoir qu’elle puisse provenir du solaire, particulièrement en hiver après le coucher du soleil.
Ce n’est pas un hasard si l’Allemagne ayant investi massivement dans l’éolien et le solaire s’est créée à côté un immense capacitaire de substitution d’origine fossile, aujourd’hui charbon et lignite, demain gaz russe.
Que l’on ne prétende pas que jamais il n’existe de situation sans production éolienne. Ainsi, le 26 juillet 2018, les 8000 éoliennes installées étaient à l’arrêt par manque de vent, situation d’autant plus fâcheuse que ce jour d’été marqua un pic de consommation inhabituel, non prévu, lié à l’utilisation intense de ventilateurs et de climatiseurs.
L’orientation « tout électrique » actuelle renforce les risques de black-out.
4. Stocker l’électricité ?
Si l’on disposait de capacités de stockage de l’électricité, il n’y aurait pas de problèmes pour faire face à l’intermittence des EnR dans le contexte d’un pic de consommation, puisque l’on pourrait - à temps choisi -déstocker, réutiliser l’énergie stockée lors des périodes fastes éoliennes et solaires sous forme de gaz (hydrogène, méthane), de STEP, ou encore de batteries.
C’est une manière de justifier les projets de surproduction électrique inscrits dans le projet de PPE, et de verdissement des autres vecteurs grâce au power-to-gas, avec pour objectif que l’hydrogène et le méthane de synthèse représentent jusqu’à 10 % de la demande totale en énergie.
C’est cependant oublier que les techniques de verdissement procèdent par ricochets successifs (électricité à H2 à électricité) avec des rendements techniques et donc économiques cumulés faibles au final, et qu’elles ont des coûts élevés tant en production qu’en stockage (100 à 150 Mds € pour des durées de vie de 30 à 40 ans).
Par ailleurs, les STEP ont un niveau d’acceptabilité locale et environnementale décroissant.
Enfin, le stockage par batteries a un coût prohibitif : selon les spécialistes, leur dimensionnement nécessaire serait de l’ordre de 3 TWh, soit un coût estimé à 300 Mds €, chiffre à doubler sur 40 ans compte tenu de la durée de vie limitée des batteries (20 ans au maximum).
5. Mener une politique d’effacement ?
L’émergence des productions intermittentes a pour effet d’amplifier les variations brutales liées aux pointes, parce que pour des raisons liées au soutien public à ces filières cette production a été rendue prioritaire sur le réseau.
En effet, l’énergie éolienne ou solaire arrivant sur le réseau de manière aléatoire, elle ne peut pas faire l’objet d’un prévisionnel fiable de son apport en puissance de production, de sorte que la régulation du réseau assurée par le CNES fonctionne de la manière suivante : lorsque l’éolien se met à produire le CNES considère que la consommation baisse, et lorsque la production éolienne diminue il considère que la consommation augmente.
Il en résulte un risque de coupures, risque croissant au fur et à mesure que l’on augmente le capacitaire de production des intermittents tout en diminuant le capacitaire pilotable.
Pour limiter ce risque, les pouvoirs publics ont imaginé d’agir à la fois sur l’offre par la création d’un marché de capacités et sur la demande par le truchement de limitations temporaires de consommation (effacements des consommations ou tarifs dissuasifs).
C’est pourquoi, au-delà des contrats passés dans l’industrie au titre des EJP (effacement jours de pointe) qui par exemple a été mis en œuvre le 10 janvier 2019 à 21h02 (diminution instantanée de 1500 MW) et des tarifications « heures creuses, heures pleines » que la réglementation a désormais rendues moins favorables, les pouvoirs publics clarifient peu à peu une politique dite d’effacement volontaire :
o la 1ère étape de cette politique sont les contrats Enedis prévoyant des coupures sans indemnisation (à la condition que la coupure soit imputable à Enedis…)sur des durées jusqu’à 5 heures https://www.enedis.fr/reagir-une-perturbation-de-lalimentation-electrique-de-votre-logement#onglet-duree-de-coupure-5-heures-consecutives .
o la 2ème étape consistera à « proposer » aux particuliers des contrats d’effacement volontaire moyennant de petits avantages tarifaires, au prix de lourds investissements technologiques à base de smart-grids renforçant la politique périlleuse du « tout électrique ».
Or, de tels contrats n’iraient pas dans le sens des recommandations de la CNDP émises le 12 septembre 2018.
Il est à craindre qu’ils soient prioritairement proposés aux personnes les plus vulnérables (personnes âgées notamment) ou imposés aux personnes ne réglant pas régulièrement leurs factures : l’égalité d’accès à l’électricité ne serait plus assurée.
6. CONCLUSION :
Les enjeux d’une politique d’investissement dans les formes intermittentes d’électricité renouvelable sont les suivants :
· une telle politique, pour demeurer acceptable au niveau économique mais aussi technique, doit rester seconde par rapport aux enjeux positifs d’une politique d’accompagnement à la maîtrise de la consommation permettant tant de diminuer les pointes de consommation que de diminuer les besoins en capacitaires de substitution à l’intermittence ;
· les opportunités de foisonnement étant statistiquement limitées, à défaut de s’adresser par des contrats fermes à un pays fournisseur dépendant peu de sources intermittentes (ex : Autriche) et compte tenu par ailleurs des limites techniques et économiques du stockage de l’électricité (limites durables), il n’est d’autre choix que :
o soit de limiter le recours aux productions intermittentes.
Il est urgent de réorienter dans cet esprit les priorités de la PPE, compte tenu du coût dantesque de ces EnR dont la France n’a pas ou plus les moyens.
o soit imposer à nos concitoyens, déjà ponctionnés par les aides aux EnR et menacés d’une augmentation inéluctable des prix de l’électricité, une diminution de la qualité de l’électricité qu’ils entendent consommer.
Cette diminution n’est pas souhaitée par nos concitoyens (réf. débat public CNDP printemps 2018), et elle ferait courir des risques non acceptables aux populations les plus vulnérables.
Les conséquences techniques, économiques et sociales de l’intermittence des EnR électriques sont telles qu’il est urgent de ne pas augmenter leur part au-delà du raisonnable.
Les limites du raisonnable, compte tenu des projets déjà acceptés, ne sont pas loin d’être atteintes.
Possibles exceptions : certains spots solaires à la condition qu’ils soient acceptables au plan environnemental, certains projets éoliens offshore flottants vraiment éloignés des côtes compte tenu de la régularité et force des vents dans la zone considérée.
Rédacteur: Bruno Ladsous pour Énergie Vérité
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